Présentation de Le Sens du vent
Ce cinquième volume serait le dernier (?) du cycle de la "Culture" de Iain M. Banks. Une fois de plus la Culture, société hédoniste, libertaire et anarchiste vieille de 9 000 ans et gérée par les intelligences artificielles, va être mise à l'épreuve par son créateur qui a l'habitude de la confronter avec l'étranger pour toujours analyser son rôle et son identité. Puissance colonisatrice d'un genre intellectuel (persuadée d'être le modèle social parfait, la Culture pratique chez les autres une forme d'ingérence éthique) est secrètement et indirectement menacée, voire mise en perspective via cette fois un personnage de musicien, métaphore double de la marge sociale et de l'art, lequel est un des piliers de la société culturienne. Le compositeur, Chelgrien émigré Mahrai Ziller, et le concert qu'il doit donner se retrouvent en effet le point nodal de desseins criminels et religieux issus de sa planète d'origine. Quoique manichéenne à souhait, l'idée est excellente, puisque décalée des schémas de pensée traditionnels en littérature de genre. C'est tout le charme de Banks. Mais voilà, son traitement n'est peut-être pas à la hauteur de l'ambition… On reprochera en effet au Sens du vent, la lenteur de l'intrigue, traversée par des tunnels de dialogues, ainsi que l'usage de procédés narratifs à la limite de la "puérilité" (c'est Lorris Murail qui ose ce mot à propos de Banks dans le Guide totem de la science- fiction et la résolution de ce cinquième opus ne le contredit, hélas, guère). Alors pourquoi lire Banks ? De fait, l'intérêt est ailleurs que dans l'intrigue et on ne peut pas lui dénier un sens très fort de l'exotisme et du merveilleux, une imagination originale (la symphonie "Lumière expirante", jouée sur fond de ballet de météorites qui s'entrechoquent et s'atomisent est-elle une version galactique de "Explosante fixe" de Pierre Boulez ? L'intérêt est dans son univers (presque) original (Stéphane Manfrédo dans son La SF aux frontières de l'homme, note toutefois que Ursula Le Guin avec son cycle de l'Ekumen avait labouré le même sillon), et sa générosité d'auteur fécond en concepts inattendus. La lecture de ce volume témoigne que cet auteur prolixe s'essouffle quelque peu (on a parfois l'impression d'être dans un des dérivés de Star Wars). Croit-il encore lui-même en la Culture ? Peut-être est-ce le concept même de la société culturienne qui atteint ses limites, du moins d'un point de vue littéraire ? Partagé entre une littérature de genre, qu'il faut faire un tant soit peu gesticuler et l'examen d'enjeux sociaux, politiques, etc., Banks parvient tout juste à remplir son contrat sans frustrer le lecteur qui serait davantage en quête de réflexion et de sens qu'en images spectaculaires ou gimmicks science-fictifs. Robert Silverberg, sur l'hédonisme, l'anarchisme, l'art et leurs enjeux, s'était contenté d'écrire dans les années 70 quelques nouvelles, situées elles au niveau du citoyen lambda (à retrouver parmi son œuvre torrentielle dans les indispensables recueils Nouvelles au fil du temps). On pensera ici que c'est sans doute une approche plus constructive. L'originalité de Banks réside donc également dans la prise de risque dont il a fait preuve en les appliquant au space opera. Espérons que cela fera de lui un stimulant pour les auteurs de demain qui, peut-être, relèveront le gant. --Francis Mizio
--Ce texte fait référence à l'éditionBroché
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